Le vent s’engouffre sous ma tente, battant inlassablement la toile, sifflant au creux de mes oreilles. Allongées dans mon minuscule abri aux côtés de Célia, je prie le Dieu des tempêtes afin qu’il épargne Padattente – petit nom affectueux donné à notre Ferrino – ou daigne lui laisser un peu de répit. Je jette quelques regards en coin en direction des sardines cuivrées qui maintiennent notre abri, en espérant les avoir suffisamment bien planté. Sinon, il nous faudra tirer au sort. La perdante aura le droit de ressortir sous le déluge et les trombes d’eau qui s’abattent afin de tendre à nouveau la toile. Et à ce jeu-là, je ne perds pas souvent. Aujourd’hui, je fête mes trente ans et je viens de boucler les 75 kilomètres du Trek W, un itinéraire incontournable au Chili dans le célèbre parc national de Torres del Paine.
Pendant nos cinq mois de voyage au long cours, la marche à pieds s’est imposée comme une drogue entre émerveillement, dépassement et oublie de soi. Dans un premier temps, il nous a fallu lutter contre le mal des montagnes, les violents maux de tête et les nausées à répétition. Nos corps se sont pliés à ce dur traitement : avaler les kilomètres, supporter le poids des sacs à dos qui nous scient les hanches et bivouaquer. Ensuite, il a fallu faire face à la frugalité et à la monotonie alimentaire. Lors de nos premiers treks, nous emportions quelques avocats et mandarines. Nous avons très vite arrêté et jeté notre dévolu sur des sachets de purée lyophilisée et de parmesan. Ils ont l’avantage d’être légers et peu encombrants. On s’est aussi habituées à la simplicité des journées, jamais rassasiées, ni lassées des somptueux paysages où nous évoluions. Un film sans fin fait de sommets enneigés flirtant avec les 5000, de cours d’eau sinueux aux reflets azurs, de forêts denses aux arbres centenaires et de grandes plaines battues par le vent. Le trek W venait compléter un palmarès bien rempli de randonnées en Amérique du Sud.
Nous avons attaqué le trek W d’est en ouest en débutant par l’ascension du chemin menant aux Torres, trois célèbres sommets granitiques au pied desquels s’écoule une lagune à la couleur laiteuse. Ici, les pentes sont raides, les chemins bien entretenus et les ponts en cours de rénovation, juste avant le début de la haute période touristique. Pour une fois, nous n’avons aucune question à nous poser quant à notre itinéraire. Nous n’avons même pas pris la peine de télécharger la moindre trace GPS. Le trek W est un terrain de jeu qui ne comporte pas de grande difficulté… Sauf lorsque le vent se lève. Il faut alors se cramponner aux bâtons de randonnée pour ne pas se laisser emporter et dévier du chemin. Chaque soir, au campement, nous regardons les prévisions météos inscrites sur un petit tableau blanc au marqueur noir. Elles nous permettent d’adapter l’heure de notre départ pour profiter au mieux de notre journée.
La journée, nous ne sommes jamais seules bien longtemps. Nous passons la plus grande partie de notre temps à échanger des « Hello ! », des « Bonjour ! » ou des « Hola ! » avec les autres marcheurs. Après cinq mois passés à ne parler qu’espagnol, les langues se bousculent dans ma tête et se mélangent. Lorsqu’on me pose une question en anglais, c’est avec le plus grand naturel que je réponds en espagnol tandis que Célia éclate de rire. Dans les campings, il nous est difficile de trouver un endroit à l’écart pour profiter de la nature environnante et planter notre tente. Invariablement, nous sommes entourées par de nombreux israéliens, en voyage une fois leur service militaire accompli, et de nombreux backpackers en groupe ou en solo. Certaines têtes ne me semblent pas inconnues, croisées quelques semaines plus tôt au Pérou ou en Bolivie. L’itinéraire a beau être magnifique, je n’y retrouve ni la convivialité, ni l’entraide qui m’avaient tant séduite lors de mon premier trek sur la West Highland Way en Ecosse. Et au fond de moi, je regrette de n’avoir pas tenté le circuit O, la grande boucle qui contourne l’ensemble des massifs du parc, moins plébiscité par les voyageurs.
Marcher le long du W, c’est devoir faire face à quelques imprévus. Le deuxième jour, au détour d’un sentier, un randonneur américain nous alerte : « Oh girls, attention, à 300 mètres de là, nous avons croisé un puma en train de boire ! » Armées de nos bâtons de randonnée et d’une pierre ramassée le long du chemin, nous ne faisons pas les fières pour affronter ce très très gros chat… Heureusement pour nous, le puma ne s’est pas attardé bien longtemps auprès de son point d’eau sur les bords du lac Nordenskjöld. Le troisième jour, nous devons adapter notre itinéraire en fonction des éléments puisqu’en raison des vents violents, le tronçon menant du Mirador Valle del Francès au Mirador Britanico sur la branche centrale du trek W est fermé. Contourner un segment de son trek, c’est tricher…
Le quatrième jour, en milieu de journée, nous parvenons au refuge Grey. A quinze minutes de là, un mirador nous permet de contempler le glacier du même nom. Je me laisse tomber sur une pierre, au pied des icebergs, peu sensible à la pluie qui se met alors à tomber. Quelques jours auparavant, une énorme partie du glacier s’est rompue suspendant une partie des activités sur le lac. De là où je me tiens, il est impossible de s’en apercevoir. Muettes et immobiles, nous resterons là un moment, savourant cette pause bien méritée à l’écart de la foule. Il ne nous reste alors plus qu’une dizaine de kilomètres pour clôturer ce trek, le dernier de notre voyage en Amérique du Sud.
INFORMATIONS PRATIQUES SUR LE TREK W DANS LE PARC DE TORRES DEL PAINE
QU’EST-CE QUE LE TREK W ?
Le trek W est l’un des plus célèbres itinéraires de randonnées au monde mais aussi l’un des plus courus par les voyageurs. Il se situe dans le parc national de Torres del Paine en Patagonie chilienne. Il s’agit d’un itinéraire de 75 kilomètres réalisable en 4 jours passant des montagnes enveloppées dans la brume aux glaciers aux reflets bleutés. Le point d’orgue de cette randonnée est une ascension de huit heures à la découverte de trois sommets granitiques “Las Torres” au pied desquels se trouve une lagune.
AVANT DE VOUS LANCER DANS LE TREK W…
Afin de régulariser l’affluence des voyageurs dans le parc de Torres del Paine, la CONAF, l’organisme national qui gère les parcs et forêts, impose aux randonneurs de réserver à l’avance leurs hébergements. Dans le parc, vous trouverez des hôtels, des dômes, des refuges et des campings privés et publics. Si les campings publics, donc gratuits, sont gérés par la CONAF, les autres campings sont gérés par des compagnies privées, Fantastíco Sur et Vertice, qui proposent des tarifs élevés. En haute saison, les refuges et campings sont très souvent complets. Il est recommandé d’anticiper ses réservations. Vous trouverez dans l’article suivant l’ensemble des informations (transport, budget, ravitaillement…) pour organiser votre visite dans le parc national de Torres del Paine.
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COMMENT ACCÉDER AU PARC DE TORRES DEL PAINE ?
Depuis Puerto Natales, des bus effectuent des liaisons quotidiennes vers le parc national de Torres del Paine entre 7h00 et 14h30. Le trajet aller-retour coûte 15 000 pesos chiliens et dure 1h30. Le bus dessert en premier lieu la Laguna Amarga où vous devrez payer le prix d’entrée du parc d’un montant de 21 000 pesos chiliens. Ensuite il vous faudra emprunter une navette pour rejoindre l’entrée du parc sept kilomètres plus loin. La navette coûte 3000 pesos chiliens.
QUELLES SONT LES ÉTAPES DU TREK W ?
Pour profiter d’une première journée complète jusqu’aux tours, nous sommes arrivées la veille vers 14h00 par le bus de la compagnie Bus Sur. Nous avons par la suite planté notre tente pour deux nuits au camping Central. Cependant en prenant un bus à 7h00 du matin à Puerto Natales, il est tout à fait possible de se lancer dans la première étape « Base Torres ».
JOUR 1 – BASE TORRES
La première étape est estimée à 8 heures de marche aller-retour 11 kms et un dénivelé positif de 750 mètres. De notre côté, il nous aura fallu 6h30 avec de très bonnes conditions climatiques. Tout d’abord, nous marchons pendant 1h30 pour rejoindre le Refuge El Chileno. Le sentier traverse des rivières, longe des flancs de montagnes et grimpe pas mal. Après El Chileno, nous suivons le sentier à travers les sous-bois. Là, le trek devient roulant. C’est la partie la plus facile. Nous avons bien avancé. Le temps indiqué par la CONAF est surestimé. Enfin les 45 dernières minutes de marche nous entraînent à travers la moraine qui masque la lagune au pied du mirador Las Torres. Attention, au niveau de la moraine, le vent gagne en force.
JOUR 2 – LOS CUERNOS
Ce matin-là, nous quittons le camping Central pour longer un chemin à flanc de montagne qui longe le sublime lac Nordenskjöld. Le chemin ne cesse de monter et de descendre. Il y a 13 kilomètres à parcourir jusqu’au camping Francès et 11 kilomètres jusqu’au Refuge Los Cuernos. Nous avons mis 5h30 pour arriver à bon port avec de grosses bourrasques de vent. Juste après le refuge Los Cuernos, on trouve quelques plages de galets pour se reposer. Lors de cette étape, nous avons également pu apercevoir un puma. Ils sont plutôt nombreux dans le parc…
JOUR 3 – LA VALLÉE DU FRANÇAIS
Nous quittons le camping Francès le sac à dos léger pour une journée de randonnée aller-retour jusqu’au Mirador Británico. Après 30 minutes de marche, nous parvenons au camping Italiano. Le vent est très fort. On progresse en se cramponnant à nos bâtons de randonnée. Ce jour-là, nous marcherons jusqu’au Mirador Valle del Francès situé à 1 heure du camping Italiano et rebrousserons chemin : le sentier menant au Mirador Británico est fermé à cause du vent.
Si je devais modifier mon itinéraire de randonnée, j’optimiserais ce jour-là. Je me mettrais en route tôt ce jour-là et déposerais mes affaires devant le bureau de la CONAF au camping Italiano. Il s’agit du point de départ vers le Mirador Britanico sur la branche centrale du trek W. Ensuite, je monterai jusqu’au Mirador Valle del Francès puis, si le chemin est ouvert, je pousserai ma Brando jusqu’au Mirador Britanico. Enfin je passerais la nuit au camping Paine Grande.
JOUR 4 – VERS LE GLACIER GREY
Ce jour-là, nous quittons le camping Francés vers 7h30. Le vent est tombé aussi nous décidons de pousser notre randonnée jusqu’au Refuge Grey. Le sentier ne représente aucune difficulté et nous marchons d’un bon pas. Il nous faudra 2h30 et 9 kilomètres pour atteindre le refuge de Paine Grande, nous délester de nos sacs à dos et nous lancer dans notre ultime étape : un aller-retour vers le refuge Grey situé à 11 kms de Paine Grande. À 15 minutes du refuge Grey, il y a un mirador qui offre une superbe vue sur le glacier. C’est aussi le camp de bas de l’entreprise Big Foot Patagonia qui propose des randonnées et du kayak aux abords du glacier. Notre étape du jour aura duré 9 heures. Nous avons parcouru 31 kms.
LES HEBERGEMENTS SUR LE TREK W
LE CAMPING CENTRAL
Depuis le camping géré par Fantástico Sur, on aperçoit Las Torres. Le site est vaste et dispose de toutes les infrastructures nécessaires : douches pourvues d’eau chaude, éviers pour faire la vaisselle, tables pour cuisiner, etc. Devant la réception, il est possible de récupérer des bouteilles de gaz et parfois même de la nourriture laissées par les randonneurs à la fin de leur trek. Pour réserver votre emplacement, rendez-vous sur le site de Fantástico Sur.
LE CAMPING FRANCÈS
Le camping géré par Fantástico Sur est installé à flanc de montagne. On installe la tente sur des plateformes en bois. Si besoin, emportez des clous avec vous. Ils vous permettront de fixer votre tente plus facilement ! Le camping dispose d’un endroit abrité mais on cuisine plus généralement sur les plateformes. L’eau chaude est disponible entre 18 heures et 22 heures seulement. Pour réserver votre emplacement, rendez-vous sur le site de Fantástico Sur.
LE CAMPING PAINE GRANDE
Paine Grande est à la fois un refuge et un camping. Le site est géré par la compagnie Vertice. On y trouve aussi un restaurant, un bar et un mini-market. Paine Grande est l’un des campings les plus exposés au vent ! La nuit, j’étais réveillée par les énormes bourrasques qui s’engouffraient sous la tente. Point positif, on cuisine à l’abri du froid et de la pluie. Pour réserver votre emplacement, rendez-vous sur le site de Vertice.
LE CAMPING ITALIANO
Les campings du parc de Torres del Paine sont tous payant à l’exception du camping Italiano. Il se trouve sur la branche centrale du trek W et est généré par la CONAF. Les installations sont plutôt somaires. Il est également nécessaire de réserver à l’avance son emplacement dans ce camping sur le site de la CONAF.
COMMENT S’ORIENTER SUR LE TREK W ?
Le trek W ne pose aucun problème d’orientation. C’est un jeu d’enfant de se repérer dans le parc ! Les distances séparant les différents refuges sont très bien indiquées. Par ailleurs la CONAF met à disposition de nombreuses informations dont la météo, disponible dans chaque camping et refuge. Cela permet aux randonneurs de mieux préparer leur étape du lendemain et de s’adapter en fonction du vent. Le vent est la principale difficulté du trek W. Les bourrasques sont parfois si fortes qu’elles peuvent déstabiliser les randonneurs. Il faut alors prendre appuis sur ses bâtons de rands pour ne pas dévier de son chemin.
OÙ TROUVER DE L’EAU SUR LE TREK W ?
Vous trouverez de l’eau sur chaque étape du trek et dans chacun des campings. Ce n’est vraiment pas un problème sur le trek W.
Le Trek W ne faillit pas à sa réputation : l’itinéraire est magnifique, bordé de lacs turquoises et de sommets déchiquetés, balayé par des vents parfois violents. C’est, en revanche, un itinéraire de randonnée très parcouru par les voyageurs. Le W permet de randonner en semie-autonomie en choisissant de dormir en refuge ou en louant des tentes dans chaque camping. L’orientation est facile et l’accès à l’eau potable ne présente aucun problème. Si vous rêvez de vous lancer dans un premier trek, c’est l’itinéraire parfait ! Si vous êtes un randonneur aguerri, alors vous regretterez peut-être la trop grande affluence sur les chemins. Si le temps vous le permet, je vous conseille d’opter pour le circuit O, l’itinéraire qui contourne l’ensemble des massifs du parc. J’espère que cet article vous aidera à planifier votre trek dans le parc national de Torres del Paine. Retrouvez sur le blog tous mes articles pour organiser un voyage au Chili.